Qu'est-ce que la biologie évolutive ?


Version courte

L'objet de la biologie évolutive est de comprendre le monde vivant et son évolution. Elle étudie donc les forces évolutives (sélection naturelle, mutation, recombinaison, dérive, migration...) qui font changer les êtres vivants au cours du temps. C'est une science interdisciplinaire, qui se définit plus par les questions qu'elle pose et par les réponses qu'elle propose, que par les outils qu'elle emploie ou les espèces qu'elle étudie. La biologie évolutive se veut explicative, et non pas descriptive.

Quelques questions classiques de la biologie évolutive:

  • Comment se fait l'apparition de nouvelles espèces?
  • Pourquoi n'y a -t-il que deux sexes (mâles et femelles) chez de nombreuses espèces?
  • Pourquoi mâles et femelles sont-ils parfois très différents ? [pour les différences hommes/femmes, cf chap. 4 de Cro-Magnon toi-même!]
  • Pourquoi les gènes sont-ils organisés en chromosomes?
  • Comment expliquer l'apparition de traits qui diminuent la reproduction? [L'homosexualité est développée dans le chap. 5 de Cro-Magnon toi-même!]
  • Comment expliquer l'apparition de la vie sociale? [Pour la famille humaine, et ses conflits, cf chap. 6 de Cro-Magnon toi-même!]
  • Etc..

Version longue
(avec quelques rappels sur l'évolution des espèces, et quelques exemples)

 
L’évolution des espèces  
En examinant les roches sédimentaires de nos montagnes, on trouve facilement des restes d’animaux aquatiques, par exemple des coquilles spiralées et curieusement ornementées (des ammonites, voir figure) qui ne ressemblent à rien de connu. Les biologistes confirment que ces animaux n’existent plus maintenant. La géologie permet de dater la formation de ces roches : les couches les plus jeunes contenant des ammonites ont 65 millions d’années.Entre temps, les continents se sont déplacés, parfois en compressant les dépôts marins, ce qui les plisse en créant des montagnes. Pour comprendre ce qu’est un fossile d’ammonite et pourquoi il peut se rencontrer dans une roche d’altitude, il faut ainsi l’intervention des physiciens, des géologues et des biologistes.La reconstruction de l’histoire de la Terre fait aussi appel à l’astronomie, la chimie et toute une série de sciences spécialisées (astrophysique, géophysique, géochimie, etc.).
L’histoire de la vie sur la terre est aussi maintenant bien connue. Les ammonites ont disparu en même temps que les dinosaures. Les ancêtres des dinosaures ne savaient pas courir, et les ancêtres de leurs ancêtres, un groupe de poissons, ne savaient pas marcher. Oui, les êtres vivants dérivent les uns des autres : c’est ce qui explique leur ressemblance. Tous les animaux à mamelles -les mammifères- ont un ancêtre commun ; tous les vertébrés ont aussi un ancêtre commun, encore plus vieux. Il en est de même pour tous les insectes, tous les mollusques, etc. En regardant en détail au niveau moléculaire, on trouve des similitudes profondes entre toutes les espèces actuelles, de la bactérie à l’éléphant : cela indique l’existence, dans un passé très lointain, d’un ancêtre commun à tous les êtres vivants.
  Fossile d'ammonite ayant vécu il y a 190 million d'années (Asteroceras, jurassique inférieur). Les ammonites n'ont aucun descendant actuel.

L’évolution des espèces est une théorie qui a eu du mal historiquement à s’imposer, du fait de la place modeste qu’elle donne à l’espèce humaine, apparue tardivement. La remise en question de cette théorie, si elle était basée sur des arguments scientifiques, impliquerait un bouleversement dans pratiquement toutes les autres sciences actuelles: événement improbable étant donnés les succès de la technologie moderne (par exemple aller sur la lune), qui sont autant de preuves de la bonne adéquation à la réalité des sciences de la matière. On peut ainsi affirmer que, scientifiquement, l’évolution des espèces est aussi certaine que l’existence de l’atome ou des galaxies.
Pourquoi les espèces évoluent ? Elles ne cherchent pas à évoluer : c’est la compétition pour la survie et la reproduction entre les individus qui a pour résultat l’évolution des espèces.

C’est principalement au niveau individuel que tout se joue. Un insecte mieux camouflé sera moins détecté par un prédateur, il va donc mieux survivre et pourra davantage va transmettre son aptitude particulière. Ses descendants feront de même, et ainsi, dans la population, cette aptitudepeu à peu augmenter en fréquence à chaque génération, il y a évolution. Un reptile qui reste actif plus longtemps que ses congénères, lorsque la température descend, en parvenant à utiliser un peu son énergie des muscles pour chauffer son corps, aura un avantage considérable pour pouvoir se nourrir plus et donc mieux se reproduire: peu à peu ce trait augmente dans la population à chaque génération. C’est le début d’une des évolutions (la thermorégulation) qui s’est produite entre les reptiles et les mammifères (voir figure) il y a 250 millions d’années.

  C’est en considérant les enjeux de survie et de reproduction qu’il est possible d’avoir une approche explicative, et non pas seulement descriptive, du monde vivant. Prenons par exemple la course rapide du lapin : pourquoi court-il plus vite que le renard ? Une première manière de répondre à cette question consiste à étudier la façon de courir de ces deux animaux, les longueurs des pattes par rapport à la taille et au poids, la musculature, les flux sanguins, etc.,
  Reconstitution de quelques formes intermédiaires entre les reptiles et les mammifères (des reptiles mammaliens), chez lesquels la thermorégulation a été sélectionnée et a petit à petit évolué.
et d'expliciter les raisons anatomiques ou physiologiques avantageant le lapin.Une autre manière de traiter la question est d'essayer de comprendre l’intérêt qu'aurait chaque animal à courir plus ou moins vite que l'autre. Apparemment, dans cette course, les enjeux sont inégaux: le renard est à la poursuite de son repas, qu'il pourrait éventuellement trouver ailleurs et avec moins d'effort, alors que le lapin court pour sa survie. Les lapins les moins rapides sont ainsi éliminés. Les renards qui se laissent distancer par leur proie potentielle peuvent se rabattre sur des repas plus faciles. Il y a ainsi un processus simple qui explique pourquoi le lapin court plus vite que le renard.
Cet exemple permet aussi d'illustrer la différence entre une cause proximale et une cause évolutive. Lorsque l'on cherche une réponse qui fait appel à des causes proximales, il s'agit d'une biologie descriptive et fonctionnelle : on se contentera de considérations anatomiques ou physiologiques pour répondre à la question sur la course comparée du lapin et du renard. Lorsqu'on cherche une réponse qui fait appel à des enjeux (par exemple la survie pour le lapin) ou à des processus, il s'agit alors de biologie évolutive.
 
La biologie évolutive
D'une façon plus précise, la biologie évolutive prend en compte les forces qui agissent au sein des populations naturelles, traditionnellement nommées forces évolutives. Considérons les principales d'entre-elles.

La mutation est une force évolutive responsable des nouveautés, au niveau des gènes ; elle agit aveuglément, et génère plus souvent des variants délétères que des variants bénéfiques. Elle provient des inévitables erreurs de copie des gènes d'une génération à la suivante.

La sélection naturelle, énoncée par Charles Darwin en 1859, consiste en une reproduction différentielle associée à un trait transmissible. Prenons comme exemple –réel cette fois– les populations du moustique commun (voir figure) dans la région de Montpellier, qui vers la fin des années 60 ont commencé à subir des traitements insecticides massifs. Quelques années plus tard apparaît, par mutation, un gène permettant une légère résistance à l'insecticide: le moustique porteur de ce gène survit mieux et a donc plus de chances de se reproduire que les
moustiques non porteurs de ce gène ; il transmet ce nouveau gène avantageux à sa descendance, qui présentera le même avantage de survie et de reproduction. Par ce processus, ce gène de résistance progresse et se retrouve, en quelques générations, dans toute la population traitée. Entre temps, une autre mutation, qui concerne un autre endroit du génome, génère un variant très résistant. Ce deuxième gène de résistance envahit aussi la population traitée, et les deux gènes de résistance combinent leurs effets: ainsi, la résistance augmente et les traitements insecticides deviennent peu à peu inefficaces... Une résistance aux insecticides se construit ainsi par sélection naturelle dans les populations de moustiques traitées. Cette résistance est une adaptation dans l'environnement traité aux insecticides: ce trait y procure globalement une meilleure survie. Par contre, dans les milieux non traités, les moustiques résistants sont très peu performants: leur survie est médiocre, et leur reproduction assez moyenne. La résistance y devient alors un trait mal adapté,-on parle de maladaptation-, et c'est la "sensibilité" à l'insecticide qui y représente une adaptation. Ainsi, une adaptation n'est pas absolue, elle dépend de l'environnement. L'ensemble des adaptations du monde vivant dérive de ce processus de sélection naturelle, y compris la course rapide du lapin vis-à-vis de ses prédateurs potentiels.
  Le moustique des villes (Culex pipiens), devenu résistant aux insecticides organophosphorés, par sélection naturelle.
Les autres forces évolutives sont plus techniques, mais leur importance dans certaines situations ne doit pas être sous-estimée. Brièvement, il y a d'abord la recombinaison, qui consiste en une réassociation des gènes entre eux, d'une génération à la suivante. La recombinaison ne se rencontre que dans les espèces présentant une reproduction sexuée.

Puis il y a la dérive, qui est une petite variation aléatoire de la fréquence des gènes d'une génération à l'autre, variation d'autant plus importante que la population est de faible effectif.

Enfin, la migration, qui peut apporter des gènes ou des combinaisons de gènes nouveaux dans une population. Recombinaison, dérive et migration peuvent dans certaines situations s'opposer à la sélection naturelle, et expliquer des maladaptations. Ainsi, la présence de moustiques résistants dans les lieux non traités aux insecticides s'explique par la proximité géographique de la zone traitée, et donc par la migration, qui entretient cette maladaptation.

Le problème des organes complexes. Est-il possible que le mécanisme simple de la sélection naturelle puisse seul expliquer l’apparition d’organes complexes, comme une aile d’oiseau, un sonar de chauve-souris ou un œil de vertébré ou d'insecte (voir figure)? Il est bien évident que plusieurs étapes sont nécessaires, et que chacune doit présenter un avantage sur la précédente. Cette condition est facilement remplie : un myope est mieux équipé qu’un aveugle. Tous les organes complexes possèdent des stades intermédiaires dont les performances sont supérieures à celles des stades précédents: il est alors facile de trouver le chemin, construits par la sélection naturelle, décrivant l’évolution de l’organe d’abord rudimentaire vers un état plus complexe et plus performant. L’impression de plan de construction à long terme, qui semble apparaître dans la complexité de certains organes, n’est qu’une illusion : à chaque étape, la sélection naturelle exerce un tri sans but. C’est la direction de la sélection dans une même direction qui conduit à des organes qui forcent l’admiration, comme l'oeil ou le sonar des dauphins.

  Les yeux de vertébrés (ici: chat , crocodile, aigle, homme) et d'insectes (ici: libellule) ont évolué indépendamment et sont construits sur des principes optiques complètement différents.
D’ailleurs, les scientifiques ne s’y trompent pas : ils utilisent maintenant le principe de la sélection naturelle à l’aide de simulations afin de trouver des solutions à des problèmes complexes. Mais ils ne se contentent pas d’imiter le processus de la sélection naturelle : ils copient également le résultat. Lorsque la sélection naturelle a été dans une même direction pendant un temps suffisamment long, cela aboutit à des adaptations dont certains aspects sont particulièrement optimisés ; copier directement ces adaptations semble alors bien plus économique que tout autre processus ou planification d’ingénieur. Les exemples abondent, citons la coquille des ormeaux, dont le principe de la très forte résistance à la cassure a été élucidé : il est actuellement copié et adapté dans le but de concevoir des matériaux bien plus résistants que ceux qui sont actuellement fabriqués par l’homme.

La biologie évolutive correspond à une façon de poser des questions en biologie, afin de comprendre, d'un point de vue dynamique, comment s'explique une situation observée. Tout trait d'une espèce peut être abordé de cette façon, pourvu qu'il soit variable, qu'il ait une histoire, et qu'il se retrouve, parfois sous une forme légèrement différente, dans les générations précédentes. De nombreux traits humains entrent dans cette catégorie: le livre Cro-Magnon toi-même! en traite quelques-un. ----[Haut de page]----

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